La diversité uniforme : identifier les présupposés en contexte d’inclusion

 Dans Nouvelles

David CastrillonDirecteur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)


Une partie importante du travail dans le domaine de l’inclusion est d’identifier et d’analyser les présupposés implicites. Il s’agit des conceptions, des représentations, des idées implicites que nous portons. On trouve qu’il est important d’avoir des outils pour reconnaitre ces présupposés puisque, finalement, ils vont guider nos relations et ils vont déterminer le chemin de nos actions d’inclusion. L’enjeu, lorsqu’on n’explore pas ces présupposés, est que nos actions peuvent reproduire des contextes d’exclusion.  

Le présupposé existentiel implicite  

Un premier pas pour reconnaitre les présupposés implicites est de savoir qu’il y en a de différents types. Reconnaitre les différences aide à éviter certains pièges dans nos actions ou projets. L’un des types, sur lequel on aimera attirer l’attention, est le présupposé existentiel implicite. Il s’agit des idées, des représentations, des concepts concernant ce qui existe. Ainsi, on tient pour acquis que ce que l’on vient de nommer est réel, sans se poser la question si effectivement cela existe.  

En voici un exemple dans une phrase qu’on voit souvent circuler : « inclure les personnes issues de la diversité ». Dans cette phrase on identifie deux présupposés existentiels : 1) on accepte qu’il existe des personnes issues de la diversité et 2) on accepte qu’il existe d’autres types de personnes qui ne sont pas issues de la diversité. Il y a donc une conception des humains selon laquelle certains êtres humains ont la diversité comme étant la source de ce qu’ils sont, d’autres non.  

L’identification de ce présupposé existentiel nous amène à nous questionner sur la conception de l’être humain qui le soutient. Cette représentation du « nous » (celui qui prononce l’énoncé, celui qui ne pas « issu de la diversité ») semblerait avoir comme source une conception de l’identité humaine selon laquelle elle est fixe et uniforme. L’idée de diversité (chez les autres) impliquerait que ces autres « divers » sont uniformes dans l’identité spécifique nommée et classée : une personne vient de cette région du monde, donc sa diversité est uniformisée dans le cadre de cette région. Même chose pour la peau, ou pour d’autres caractéristiques choisies.  

Une des conséquences pratiques que l’on constate est l’enfermement des personnes dans un trait identitaire donné.

Présupposé existentiel versus barrières  

Il ne faut pas confondre les présupposés existentiels avec les “biais inconscients” concernant la relation avec un « autre » spécifique. On fait plutôt référence à des prémisses structurant notre rapport au monde : à nous-mêmes, aux autres, au vivant, à la réalité.  

Par exemple, on pourrait changer la phrase de l’exemple, pour: « identifier les barrières (ou les biais inconscients) auxquelles doivent faire face les personnes issues de la diversité ». La prémisse existentielle implicite demeure. On continue ainsi avec l’idée selon laquelle l’identité est fixe et cohérente. Cette idée d’humanité, qui n’est pas problématisée, continue d’être le cadre de représentation qui nous amène à classer juste certains humains dans la diversité. 

Ces questions peuvent avoir l’air très conceptuelles, mais dans les rapports humains de tous les jours, cela compte. Cela se traduit par un geste, un mot, une posture, un projet, un programme, une question, un formulaire, une politique.  

Ce témoignage d’une personne impliquée dans les projets du PCEIM, illustre bien l’enjeu lorsqu’on est enfermé dans un trait identitaire :  

« …je sais qu’on le fait souvent avec des bonnes intentions, mais je suis, des fois, fatiguée (mais je ne le dis pas) de voir comment ils vont nommer les gens. Tu sais, moi je suis plus que ça, en fait, tous on est plus que ça, mais de fois on nous le fait oublier » 

Tout cela change si cette prémisse existentielle est nommée et changée (donc on change aussi le langage) par une conception qui tient compte de la nature plurielle, interdépendante, perméable et en devenir de l’identité humaine.  

Le défi  

L’enjeu avec cette analyse est que pour identifier ces présupposés existentiels implicites, il faut prendre du recul. Mais comment le faire ? Est-il possible ? C’est partiellement possible : il s’agit surtout d’une démarche, et non d’un point d’arrivée.  

Certaines questions pourraient aider à identifier la présence de ce type de présupposés existentiels concernant l’identité humaine : il faut promouvoir la diversité ou plutôt, il faut reconnaitre son universalité? Se voit-on comme divers? Ou ce sont les autres? Ou tous? Est-ce qu’on uniformise ceux qu’on nomme comme étant divers? Pour ce qui est de l’inclusion, on est dans une conception de la nature humaine plutôt écologique (l’interdépendance essentielle à notre milieu, l’incarnation/intériorisation des interactions) ou plutôt individualiste (un « soi » qui nait de soi-même, indépendant, qui est juste à l’intérieur)? En sachant que les humains font des classements, comment les fait-on, quel type de classements faire, de quelle nature? Classe-t-on les individus ou comprend-on plutôt les contextes? Identifie-t-on les biais que les gens portent concernant les autres ou explore-t-on la trame implicite de concevoir l’humanité en termes des « nous » et des « autres »?  

En fait, le travail de déconstruire notre monde, de mettre en question ce qu’on tient pour acquis, est un travail de s’exposer à la perte de contrôle. Perte qui, finalement, est libératrice. 


Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal

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