Les vulnérables

 Dans Nouvelles

David Castrillon – MSc en Gestion

Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)

Président – Réseau alternatif et communautaire des organismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal

Révise par Justine Israël


La façon de nommer une réalité a une influence sur la façon d’agir sur celle-ci. Si on croit que la réalité est et opère d’une certaine façon, nos actions sont réfléchies en conséquence. Il est pertinent d’attirer l’attention sur les effets possibles dans la vie des gens des façons de nommer et de comprendre l’expérience vécue par certaines personnes.

Les bonnes intentions

On entend souvent les expressions « personnes vulnérables » ou « populations vulnérables ». Ces expressions sont chargées d’une conception de l’autre qui passe inaperçue par la personne qui l’utilise, mais pas nécessairement par la personne à qui elles s’adressent : elles nous signifient que l’autre a quelque chose en lui qui ne marche pas, qui le rend vulnérable.

Il n’est pas courant d’entendre quelqu’un s’inclure dans cette expression. On entend rarement « nous, les personnes vulnérables », mais plutôt « elles, les personnes vulnérables ». La personne se range ainsi du côté des non vulnérables. C’est donc plus souvent quelqu’un d’autre qui identifie la personne comme étant vulnérable et qui va dicter en quoi elle l’est.

De plus, cette vision de l’autre vient souvent avec l’intention de le sauver, d’enlever sa vulnérabilité pour l’amener du côté du « nous », les non vulnérables. Ce titre de « vulnérables » est donné par une personne qui, plus souvent qu’autrement, se voit comme porteuse du bien. En se plaçant du côté du bien, les non vulnérables vont donc créer des solutions en cohérence avec leur propre mode de vie, « parce qu’on ne peut pas laisser les autres vivre comme ça, c’est inhumain! » On essaie de les ramener et de les intégrer dans le fonctionnement du système. On en arrive donc à penser que les non vulnérables sont le modèle souhaité, l’idéal à atteindre, et qu’il faudrait transformer les vulnérables, les déposséder de leur identité. Plusieurs personnes et communautés ont été observées à travers cette lunette. Pour leur bien, on met en place des procédures afin d’éliminer leur vulnérabilité, et souvent on arrive à nier leur humanité en partie, ou, dans des cas extrêmes, à la nier complètement.

Vers une autre compréhension

Une autre compréhension de la diversité des expériences humaines est aussi possible : on peut partir de l’idée que la vie est, en soi, vulnérable. Elle est toujours sur le point de finir, elle fonctionne grâce à son statut précaire, dans le sens qu’elle est constamment en train de se construire : la vie a donc une vulnérabilité essentielle. Cependant, comme on peut le constater, la vie a aussi comme condition l’ancrage actif dans un milieu. Par exemple, un bébé humain, individuellement, est très vulnérable, mais ce concept d’un bébé considéré tout seul est une sorte d’abstraction qui n’existe pas réellement : il est entouré par le milieu naturel propre aux humains, c’est-à-dire les autres humains. On devient humain dans un contexte et dans des situations composées d’humains et de choses faites ou transformées par des humains. Ces situations, contextes et milieux peuvent être une source d’épanouissement humain ou peuvent nuire aux humains qui s’y retrouvent.

Cette compréhension de la vulnérabilité, qui concorde avec les découvertes sur la profonde sociabilité humaine (qui n’équivaut pas à une profonde bonté), met l’accent sur les situations et contextes de vulnérabilité, et non sur l’idée de certaines personnes ou populations vulnérables. On comprend ainsi qu’il est possible d’observer les réponses aux besoins humains dans les situations et contextes où se trouvent les personnes ou les populations, au lieu de les définir comme étant vulnérables (en les différenciant des non vulnérables).

Au lieu de croire qu’il faut changer les personnes, cette compréhension invite à identifier les différentes dynamiques humaines dans lesquelles nous opérons et que nous reproduisons qui empêchent ou limitent la satisfaction des besoins. Par exemple, le fait de dire d’une personne qu’elle est vulnérable est un obstacle pour la satisfaction de ses besoins d’identité, de participation et de compréhension. C’est un piège qui limite aussi le déploiement d’identités en en fixant une seule (ex. : c’est une personne vulnérable), qui occulte la reconnaissance des problèmes qui existent dans les dynamiques sociales, et qui peut nuire à la participation des personnes dans la définition de leurs propres enjeux.

Pour une déconstruction

Bien nommer les réalités implique un changement dans la vision qu’on a de nos rapports aux autres. Cette idée des « personnes vulnérables » traduit surtout une compréhension limitée de nous-mêmes qu’il est nécessaire de déconstruire. Quelques questions peuvent favoriser cette déconstruction : quelles violences ont été commises dans notre histoire au nom du bien, guidées par cette conception de l’autre comme étant une personne « vulnérable » qu’il faut sauver, intégrer, réformer, guérir, etc.? Comment cette vision se déploie-t-elle aujourd’hui? Quelles institutions, organisations, lois, programmes ou expertises existent aujourd’hui incarnant cette compréhension limitée de l’autre? Finalement, qui sont les « vulnérables » qu’on « sauve » aujourd’hui qui deviendront avec le temps les personnes qu’on aura niées?

 

 


Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal

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