Instrumentalisation et partenariat dans l’action sociale
David Castrillon – Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)
L’instrumentalisation est l’une des préoccupations des organismes communautaires lorsque leurs représentants participent à des comités composés d’organisations d’autres secteurs, notamment le secteur public et les fondations (qui sont souvent leurs bailleurs de fonds). Ils ont l’expérience de voir comment leurs idées mais aussi leur présence peuvent être utilisées par ces acteurs pour atteindre leurs propres objectifs. Cette utilisation peut être faite de bonne foi, dans un esprit de charité naïf, ou de manière stratégique. Afin de créer des espaces de confiance entre les acteurs, il peut être pertinent, d’aborder le thème de l’instrumentalisation pour mieux le comprendre.
Être traité comme une finalité en soi
L’une des valeurs affichées dans les sociétés démocratiques est celle de considérer les êtres humains comme des fins en soi, plutôt que de les traiter comme des moyens ou des instruments au service d’une autre fin. Cette idée de considérer les êtres humains comme des fins en soi s’est répandue géographiquement (dans une grande partie du monde) et socialement (dans plusieurs sphères de la vie des personnes). Ainsi, cette valeur a été intériorisée au point où une personne ressentira un affront lorsqu’elle percevra qu’elle est traitée comme un instrument. Ce ressenti, tout à fait légitime, peut alors se transformer en action visant à changer les relations.
Cependant, dans certaines formes de relation, il est inévitable que les humains se traitent mutuellement comme des instruments. En outre, vouloir éliminer toute forme d’instrumentalisation n’est pas réaliste et peut même avoir des effets contraires à l’objectif souhaité. Par conséquent, l’instrumentalisation dans certains contextes et relations peut être tout à fait légitime voire nécessaire. Cela n’a aucun sens de vouloir éliminer complètement cette façon d’entrer en relation, mais il est également faux de penser que toutes les relations sont uniquement instrumentales, comme le prônent certaines approches.
Le contexte d’instrumentalisation
Pour bien comprendre cette idée, dans le contexte du régime politique démocratique par exemple, nous devrions considérer les lois et l’organisation de l’État comme des instruments au service des êtres humains, qui sont eux-mêmes la fin en soi, plutôt que des instruments au service d’une finalité externe telle que les dieux, l’Histoire, le parti, le profit, une idée, l’économie, etc. Dans ce contexte, il n’est pas légitime de renverser les rôles, comme cela peut être le cas dans d’autres régimes où les êtres humains concrets sont considérés comme un moyen d’atteindre un objectif ultime.
Cela ne veut pas dire qu’au sein d’une démocratie il ne puisse y avoir, avec toute légitimité, des traitements instrumentaux. Cependant, et voici la nuance qui est importante de saisir : ce traitement n’est pas ressenti comme un affront (en général) lorsqu’il est mutuel. Par exemple, le monde du travail est un contexte dans lequel l’instrumentalisation a tout son sens. Demander d’autres types de traitement n’aura pas sa place. Cela ne veut pas dire que dans l’informalité les personnes n’en trouvent pas d’autres types, mais la nature des échanges demandés est de type instrumental. Également, les relations entre organisations, qui se font via leurs représentants, sont des relations de type instrumental. Perdre de vue cette réalité peut générer de grandes incompréhensions.
L’instrumentalisation unidirectionnelle
Un autre problème est lorsque le contexte des relations limite la réciprocité de l’instrumentalisation ou une instrumentalisation à un niveau plus ou moins égal. Lorsque les ressources disponibles et mobilisables des acteurs sont très inégales, il est très difficile d’établir une réciprocité de l’instrumentalisation. Pour y parvenir, il faudrait avoir un flux de ressources non seulement financières, mais aussi symboliques (médiatiques, représentatives, par exemple) et normatifs.
Ainsi, pour revenir au cas des organismes communautaires, ils peuvent percevoir le contexte de leurs relations avec les comités mentionnés précédemment comme étant traversé par cette instrumentalisation unilatérale, qui n’est pas nécessairement créée intentionnellement.
Créer des espaces de réel partenariat
Si l’objectif est de créer des partenariats efficaces, il est important de rendre explicit l’enjeux de l’instrumentalisation et mettre en place des mesures pour pouvoir créer un contexte de mutuelle instrumentalisation.
Laisser dans l’implicite cet enjeu peut conduire à des malentendus et à une méfiance mutuelle. En nommant l’enjeu, mais en ne prenant pas les mesures nécessaires pour égaliser les relations et établir une mutuelle instrumentalisation satisfaisante, on risque de miner la confiance à un niveau profond. Toutefois, en nommant l’enjeu et en agissant en conséquence avec le flux de ressources nécessaires, il est possible de maintenir des relations constructives et durables, relations qu’il faut toujours entretenir.
Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal