Vers une évaluation à visage humain : la narration réflexive

 Dans Nouvelles

David CastrillonDirecteur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)


Vers une évaluation à visage humain : la narration réflexive

Afin d’avancer, collectivement, dans la mise en place d’espaces d’interaction inclusifs, on trouve pertinent de donner un aperçu de la réflexion sur l’évaluation des impacts de cette approche.  Selon notre compréhension, un impact implique un changement. Dans le jargon du milieu d’évaluation, il est question, entre autres, de résultats, d’impacts et d’indicateurs. Les indicateurs sont des signes choisis par les observateurs, c’est-à-dire ceux qui évaluent. Ces   signes cherchent   à révéler  les  changements à la réalité, grâce à une intention explicite. Les signes peuvent prendre plusieurs formes et peuvent être de natures très différentes.  

Au PCEIM, lorsqu’on parle d’impacts du modèle d’espaces interaction inclusifs, on parle surtout de changements dans les réponses permettant de satisfaire   des   besoins   humains essentiels, notamment les besoins d’identité, de participation et de compréhension.  Les choix d’indicateurs sont faits en fonction des types des réponses créés dans nos implications aux niveaux micro, local ou macro.  

Dans une vision dialogique de l’évaluation, toute évaluation est imprégnée d’une tension entre le contrôle (le contrôle étant une réponse au besoin de protection) et l’apprentissage (l’apprentissage étant une réponse au besoin de compréhension). La tension doit être comprise comme une façon de concevoir ces deux éléments comme étant à la fois contradictoires, complémentaires et concurrents. On peut représenter cette tension comme une ligne sur laquelle on se promène chaque fois qu’on fait une évaluation. Dépendamment de notre vision de la réalité, on peut se placer plutôt du côté du contrôle ou du côté de l’apprentissage. La conscience même de cette tension nous permet de savoir, dans une certaine mesure, où se placer lorsque vient le temps d’évaluer.  

Prendre conscience de la tension implique de prendre conscience de la nature de ce qu’on veut évaluer : s’agit-il du monde constitué  de   choses inertes, ou bien du monde vivant, celui  des êtres ancrés  dans les relations avec les autres et avec le monde, celui constitué de    symboles, d’affections, de liberté? Si la nature de ce qu’on veut évaluer est composée d’aspirations, de bienveillance, de tendresse, de solitude, de tristesse, de joie, de souffrance, de sens, d’incompréhension, de sensations, d’espoir, d’angoisse, de douleur, de plaisir, d’insécurités, de doutes, le tout incarné dans des corps finis… alors quels outils et quels signes peuvent la représenter, la saisir, l’appréhender, la communiquer?  

La mobilisation de notre modèle nous a surtout appris à essayer de regarder ce qu’on veut évaluer avec les yeux du vivant, donc avec l’intention de comprendre.  Ainsi, on explore une évaluation, ou plutôt une façon de comprendre la réalité, qui veut refléter notre expérience humaine.  Pour la partager, on explore la narration réflexive comme moyen d’expression mais aussi d’apprentissage. Voici un aperçu : 

DES EFFETS À PLUSIEURS NIVEAUX : UNE MARQUE DILUÉE  

La rencontre du comité débute avec un café chaud dont le goût ne fait pas toujours l’unanimité. Madame Y, habituée à se faire regarder à travers la lunette d’un diagnostic donné par un expert, remarque qu’elle ne sent plus ce regard depuis qu’elle participe dans cet espace. À force de côtoyer le milieu psychiatrique depuis quelques années, elle avait développé le réflexe de se présenter comme portant en elle, ou, plus précisément, comme étant elle-même ce diagnostic, cette étiquette.  Cependant, dans les quelques dernières rencontres, elle a commencé à ressentir que pour avoir une voix dans le comité, ce n’était pas nécessaire de passer par cette marque qu’elle sentait collée à sa peau, qu’elle n’avait pas choisie, de la taille de tout son corps. Cette marque, qui semblait au début la « réconforter, était devenue avec le temps un poids » dans sa vie, inexplicable, inqualifiable.  

Cette fois, elle sentait plutôt qu’elle était autre chose. « Je ne suis pas cette chose qu’on m’avait dit, je suis un être humain, comme les autres. » Elle pouvait dorénavant se percevoir dans le réseau de relations l’entourant, non pas comme un cas à observer, mais comme un être vivant, un être humain à part entière dans toute sa complexité, ancré dans son milieu. Ce n’était pas son regard sur elle-même qui avait changé soudainement.  Ce qui avait changé, c’était le regard des participants aux comité sur l’être  humain.  Madame E, qui participe au comité comme  responsable du projet, a  pu constater qu’il y avait  «  une reconnaissance partagée  de la portée relationnelle du mental », ou, en d’autres mots, qu’il y avait maintenant une  représentation interactionnelle de l’être humain qui avait pris une place parmi eux.  

DES EFFETS À D’AUTRES NIVEAUX  

Si on parle d’impacts aux niveaux local ou macro, les défis sont encore présents.  Est-ce qu’on a des signes, des indicateurs, qui montrent qu’on est en train d’influencer la vision de la santé mentale, qu’il y a un passage vers une vision moins  pathologisante et   individualiste?   Est-ce   qu’on   a   des   signes   qui indiquent que notre société fait un virage vers un système inclusif qui favorise la création de réponses synergiques aux besoins humains?  

Le changement des représentations de soi-même et de l’être humain au sein d’un comité n’est pas nécessairement un changement systémique à tous les niveaux. Mais il l’est au niveau micro, dans le sens que la dynamique relationnelle que ces personnes cocréent, c’est-à-dire leur système, est en train de changer. Cet espace permet que les personnes soient actives dans   la   recherche   de   réponses   à   leurs   besoins.  

Ensuite, afin de comprendre les facteurs facilitant la création de cet espace, il faudrait faire le lien, par exemple, avec des espaces d’interaction d’un niveau différent. Pour donner qu’un exemple on se demande, au niveau plus macro, comment les politiques en place constituent (ou pas) un appui matériel et symbolique facilitant la création de ces dynamiques d’interaction inclusives ?  

Pour le moment, les personnes du comité auquel participent Madame Y et Madame E ont différentes manières   de   savourer   le   café. Et   il   est   permis, évidemment, de ne pas l’aimer.

 


Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal

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