Comment évaluer l’inclusion?

 Dans Nouvelles

David CastrillonDirecteur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)


L’inclusion, terme abondamment évoqué, est actuellement enveloppé d’une certaine opacité. Pour le démêler, une des voies possibles est de le mettre en parallèle avec d’autres idées.  Par exemple l’intégration : elle fait référence à un processus où, de manière explicite ou implicite, on attend d’un individu ou d’un groupe qu’il s’adapte à un cadre préétabli. À l’opposé, l’inclusion peut être envisagée comme un processus à deux niveaux :  

  1. Une prise de conscience que, dans les interactions entre êtres humains, il y a toujours une mutuelle influence au niveau de leurs identités.  On comprend ainsi que l’identité humaine n’est pas figée, donc qu’elle se construit grâce aux interactions et qu’elle en dépend. 

  2. Une posture d’ouverture face à cette mutuelle influence. Ouverture qu’implique un effort d’identifier les exclusions, légitimes et illégitimes, reproduites dans les interactions, afin de créer ensemble des dynamiques d’interaction inclusives. Cela conduit à ce que les personnes apprennent à vivre des processus de transformation. Lorsqu’il s’agit d’un groupe, d’une organisation, d’une communauté, d’une société cela implique que, en tant qu’entités disposées à inclure, elles soient ouvertes à se transformer. 

Ainsi interprétée, l’idée d’inclusion sous-entend l’adoption d’une approche qui fait place à l’incertitude, ayant comme boussole la sérendipité :  elle nous apprend à être attentif aux autres, sans nécessairement avoir un but précis avant chaque rencontre ; à comprendre que les interactions humaines se développent de manière autonome et ainsi agir en cohérence avec la richesse que ces interactions peuvent engendrer. Adopter cette perspective dans une organisation nécessite donc de reconsidérer notre compréhension de ce que signifie « être efficace ». 

 

Efficacité et inclusion 

Dans le cadre de l’inclusion, l’efficacité ne se mesure surtout pas par des critères propres à la performance. Selon la perspective adoptée ici, elle transcende les résultats purement quantitatifs, en mettant l’accent sur une approche qui reconnaît la complexité de la condition humaine.  

Cela signifie que le processus d’inclusion exige de la rigueur qui dépasse les chiffres : face à l’incertitude caractéristique des démarches d’inclusion, il est primordial de définir un cadre de référence qui guide l’identification des signes d’un processus d’inclusion en action. Ce cadre doit être aligné avec le caractère intrinsèquement humain de l’inclusion. 

 

Les indicateurs de l’inclusion : de quel phénomène parle-t-on ? 

L’inclusion, dans cette perspective, prend sa source dans le caractère profondément interactionnel des êtres humains, ce qui constitue son fondement. Elle se manifeste à travers des modes d’interaction spécifiques, qui sont en eux-mêmes des réponses aux besoins essentiels de l’être humain. Cette approche nous conduit à nous poser des questions clés : Qu’entend-on exactement par un « besoin humain essentiel » ? Comment ces besoins peuvent-ils être définis ? Quels sont les besoins spécifiquement liés à l’inclusion, et comment pouvons-nous y répondre ? Comment pouvons-nous évaluer si ces besoins sont satisfaits ou non ? 

Pour démêler ces questions, il est essentiel de naviguer à travers la diversité des perspectives qui essaient de définir les besoins humains, allant des approches linéaires ou simplistes à celles plus complexes ou systémiques. Certains modèles, par leur nature abstraite et quantitative, ne tiennent compte de la dimension humaine et le dynamisme de l’inclusion. D’autres, en revanche, intègrent la complexité des interactions humaines, offrant une perspective plus riche et plus nuancée, propice à l’élaboration de pratiques inclusives. Les modèles varient aussi en termes de portée, des théories générales aux cadres plus spécifiques, influençant ainsi directement la facilitation ou l’obstruction de l’inclusion. 

Le modèle le plus utilisé, souvent de façon implicite, est celui proposé par Maslow. Il présente des lacunes notamment dues à son absence de spécification détaillée, sa structure linéaire et sa hiérarchie des besoins, ce qui limite son applicabilité aux démarches d’inclusion. Typiquement adopté dans le type d’action sociale propre à la charité (ou assistantialiste), ce modèle s’aligne davantage avec l’idée d’intégration qu’avec celle d’inclusion. 

Pour l’inclusion, il est essentiel de s’appuyer sur une perspective de besoins humains qui non seulement identifie et associe les besoins entre eux, mais qui considère également leur potentiel plutôt que de les percevoir uniquement comme des manques à combler. Un tel modèle devrait nous guider dans l’identification des actions clés révélant le processus d’inclusion en cours, nous permettant ainsi de saisir et d’agir efficacement au sein de ce paradigme d’influence mutuelle et de transformation contextuelle. 

 

Une évaluation de l’inclusion à échelle humaine 

À ce propos, Manfred Max-Neef¹ apporte des éclaircissements essentiels sur les besoins humains, nous aidant à naviguer à travers les complexités de notre humanité commune. Plutôt que de proposer un modèle rigide, il souligne la nature adaptable et évolutive de sa proposition :   

« La proposition que nous avons élaborée n’est pas un modèle. C’est une option ouverte qui se justifie uniquement dans la mesure où elle est assumée et comprise comme une construction permanente. Rien en elle ne prétend démontrer le statut de solution définitive, car nous comprenons que l’être humain et tout son environnement sont des composants d’un flux permanent (…) » 

Dans le contexte de la perspective sur l’inclusion présentée, le cadre offert par Max-Neef sert à mieux observer la manière dont nous envisageons et répondons aux besoins humains essentiels au sein de processus inclusifs. Dans cette perspective on fait la différence entre les besoins et les réponses aux besoins. Ainsi, les besoins humains sont 9², ils sont universels, tandis que les réponses changent, ils sont contextuels. Cette différentiation permet de mieux agir et évaluer les actions.  

L’inclusion pourrait être compris donc comme une réponse aux besoins humains, notamment aux besoins d’identité, de participation et de compréhension.  En utilisant le cadre de Max-Neef, l’inclusion est abordée sous l’angle de la potentialité, où par exemple le besoin de participation n’est pas vu seulement comme une lacune à combler, mais comme une opportunité pour les individus de créer activement des espaces de participation. On observe l’angle mobilisateur du besoin, suggérant que ces espaces rendent disponibles des possibilités de participation — telles que l’accès à l’information, la capacité d’exprimer des opinions ou de participer aux prises de décision — qui peuvent être utilisées comme indicateurs pour affiner et améliorer le processus d’inclusion. 

Grâce à la nature systémique de la proposition de Max-Neef, il est possible d’observer les liens entre le besoin de participation et le besoin, tout aussi essentiel, de compréhension : associer les niveaux de participation aux types d’apprentissages pourrait permettre une identification plus précise de l’avancement des processus d’inclusion. Selon le degré de participation, on peut se demander si un apprentissage opérationnel est suffisant, ou s’il est nécessaire de viser des apprentissages qui encouragent une remise en question du contexte de participation, dans une démarche plus réflexive. 

De plus, il est envisageable d’examiner les relations entre ces deux besoins et le besoin fondamental d’identité : en identifiant les possibilités d’appartenance des personnes et les rôles offerts dans l’espace et comment elles les assument dans les interactions, et en en regardant la cohérence avec les réponses aux besoins de participation et de compréhension. 

Ce qui a été décrit brièvement ici reflète, en substance, la nature des indicateurs qui devraient être repérés au sein d’un cadre d’évaluation systémique de l’inclusion. 

 

Pour une évaluation du vivant 

L’évaluation de l’inclusion cherche à appréhender les environnements des individus enracinés dans des réseaux de relations, marqués par des symboles et des émotions. Lorsque l’essence de ce que nous cherchons à évaluer est tissée d’aspirations, de bienveillance, d’émotions diverses telles que la joie, la tristesse, la douleur, ou encore la quête de sens et l’espoir, le défi consiste à identifier les outils et les indicateurs capables de capturer, de saisir et de communiquer cette réalité complexe, incarnée dans des interactions humaines. 

La mise en place d’un cadre d’évaluation aligné sur la nature intrinsèque de l’inclusion offre également aux groupes, aux organisations, aux communautés, ou aux décideurs, une opportunité précieuse de déchiffrer la complexité de leurs interactions à travers une perspective sensible aux nuances qui sont propres du vivant. Cela représente une invitation à percevoir nos relations à travers un prisme attentif aux subtilités de l’expérience humaine, engageant ainsi les acteurs dans une démarche de compréhension qui vise à la refléter.  

Reste alors une interrogation fondamentale : Quel niveau de conscience avons-nous de l’impact de la nature du groupe ou de l’organisation sur le niveau d’inclusion réalisable ? Comment cette nature influence-t-elle l’inclusion, même avec les meilleures intentions ? 

 

¹Max-Neef, M., Elizalde, A., & Hopenhayn, M. (1990). Human scale development: an option for the future. Development Alternatives Centre [Centro de Alternativas de Desarrollo](CEPAUR).
²Les besoins humains dans cette perspective : liberté, création, subsistance, affection, loisir, protection, compréhension, participation, identité


Crédit photo : Photo de Vinicius “amnx” Amano sur Unsplash

 


Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal

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