Un exemple de tension créative

 Dans Nouvelles

David Castrillon

Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)

Président – Réseau alternatif et communautaire des organismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal

 

La relation entre le réseau public et les groupes communautaires est un exemple de tension créative. Le directeur national de la santé mentale au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS), Dr André Delorme, a bien démontré cette tension en soulignant l’avancée des soins en santé mentale dans le réseau public, nourrie des approches développées au sein de groupes communautaires[1], qui eux bénéficient d’une autonomie et d’une capacité d’auto-détermination pour développer des pratiques innovantes.

En effet, la tension créative fait référence au rapport soutenu entre une logique de l’institué, caractérisé par la norme, la sécurité, le contrôle, une rationalité régie par l’ordre, et une logique de l’instituant, caractérisé par l’imprévu, l’informel, la souplesse, une rationalité qui remet en question l’ordre actuel. Il est facile de faire un parallèle entre l’institué et le réseau public d’une part, puis l’instituant et les organismes communautaires de l’autre, mais ces associations peuvent être trompeuses : il peut y avoir, dans les organisations publiques du réseau de la santé, des initiatives qui changent l’ordre établi, tout comme des logiques plus strictes peuvent traverser certains organismes communautaires.

Cependant, la nature publique des organisations du réseau de la santé les amène – puisqu’elles en sont d’une certaine  façon obligées – à être plus strictes, garder l’ordre et rassurer la population, tandis que la nature communautaire des organismes les amène vers des cadres d’action plus souples, où la créativité peut prendre plus de place. La taille des unes et des autres est aussi un facteur à prendre en compte pour mesurer leur capacité d’adaptation à différents changements et innovations. Une structure plus grande requiert plus de temps et d’énergie qu’une petite structure pour intégrer des changements.

Une tendance des organisations représentant la logique de l’institué est d’imposer, aux autres acteurs, leur logique de contrôle, d’ordre et d’homogénéisation de pratiques, surtout lorsqu’elles vivent des changements. En voyant que de nouvelles pratiques s’instaurent, le résultat de changements structurels ou logistiques, ces organisations peuvent croire – à tort – qu’elles sont devenues des organisations représentant la logique de l’instituant. Cependant, la logique de l’institué des organisations se décèle dans la tendance à imposer leur nouvel ordre aux autres. Ceci peut s’observer aujourd’hui lorsqu’il est exigé de certains organismes de se conformer aux critères du réseau public.

Cette tendance, dans le cas du Québec, est freinée de deux manières : d’une part, les organismes affirment leur autonomie et leur capacité d’auto-détermination, puis d’autre part, les organisations publiques instaurent des politiques limitant leur emprise sur l’autonomie du secteur communautaire. Par exemple, l’autorégulation du réseau public se concrétise dans le cadre du programme de soutien aux organismes communautaires, PSOC[2].

On peut donc affirmer que le Québec s’est doté de la possibilité de profiter d’une tension créative – plutôt que conflictuelle – entre la logique de l’institué et la logique de l’instituant, grâce à l’autonomie que les organisations publiques et les organismes communautaires se doivent de conserver, mais grâce aussi à la compréhension de leur interdépendance. Rompre l’interdépendance ou l’autonomie revient à briser la richesse de la tension créative : elle est source d’avancement et pour les organisations publiques, qui peuvent profiter des innovations sociales provenant des organismes communautaires, qui eux peuvent essayer de nouvelles façons de faire sans la contrainte de répondre à la logique d’institué. Concrètement, c’est la population en général qui en profite.

Pour alimenter la logique de l’institué par la logique de l’instituant, il faut qu’il existe des organisations qui bénéficient d’autonomie. Mais il faut qu’il existe en plus, à la base, une relation de confiance. Pour que le progrès exprimé par Dr Delorme se poursuive, il faut défendre l’autonomie des organismes, ce qui fait partie de leur nature même.

Ainsi, le réseau public et les organismes communautaires, dans le but commun de faire avancer notre société par des approches innovantes et adaptables à une réalité changeante, doivent prendre soin de la tension créative propre à leur relation dans le contexte québécois.

 

[1] Présentation faite en 2016 dans le cadre de l’assemblée générale annuel du RACOR en santé mentale.

[2] Le PSOC est un programme gouvernementale qui a comme objectifs généraux de « reconnaitre et promouvoir l’action des organismes communautaires, d’offrir le soutien et l’information nécessaire aux organismes communautaires et d’apporter un soutien financier aux organismes communautaires ». Pour en connaitre plus. http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2014/14-823-02W.pdf

 

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