Humaniser plutôt que psychiatriser notre expérience partagée
David Castrillon – MSc en Gestion
Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)
Certaines approches en santé mentale vont interpréter l’expérience vécue par les personnes dans la situation actuelle selon une perspective individualiste. En utilisant une vision fournie par le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) par exemple, des experts véhiculant cette approche chercheront chez les individus ce qui les rend « malades ». C’est une compréhension du « mental » comme étant un phénomène individuel. S’il y a quelque chose qui est frappant dans cette situation, c’est la prise de conscience sur notre nature interdépendante, essentielle pour être ce que nous sommes. Nous sommes, dans notre essence, connectés au monde et aux autres.
Nous savons actuellement, grâce aux recherches qui tiennent compte des conditions réelles de nos vies, que le « mental » ne se trouve pas seulement au sein d’un individu. Les recherches ont pu avancer sur un phénomène évident dans certaines cultures : notre mental se crée et existe dans nos relations avec les autres et avec le monde. En ce moment, ces relations ont changé, donc notre mental change aussi. Ce changement, dans ce cas, est dû à notre éloignement massif et rapide les uns des autres, de notre monde partagé. Cet éloignement, contraire à notre nature, a limité la pluralité des moyens par lesquels notre « mental » se nourrit. Notre « mental » se voit donc fragilisé. Cet isolement n’est pas la seule source de fragilisation : il y a aussi la peur de la possible disparition de ce qui nous est cher (la nôtre ou celle des autres).
Cependant, grâce à la complexité de notre évolution, le mental est aussi ancré dans le corps, et il se tient, existe, continue à exister, grâce aux traces des autres et du monde qui restent imprégnées dans notre corps. En plus de la possibilité de porter les autres et le monde d’une façon originale pour être soi (dans notre tête, on poursuit nos échanges avec les autres, même lorsqu’on est seul), nous avons créé des moyens afin de prolonger nos relations virtuellement, indirectement. Le langage a la capacité de nous montrer la présence des autres et du monde, même lorsqu’ils sont absents. Par exemple, même dans la solitude d’une chambre, lire peut renforcer notre sentiment d’exister, notre « mental », par les interactions qu’on crée avec les personnages, l’auteur, l’univers de ce qu’on lit. Avec l’écriture, en plus d’avoir la possibilité de recréer un monde, on amène dans nos pages un futur lecteur.
Le fait d’interagir avec les choses (jouer d’un instrument, arroser ses plantes, construire un meuble, dessiner) est aussi un moyen de continuer à se remplir du monde, à être connecté avec lui, à alimenter la pluralité de personnages intérieurs qui nous habitent. Un arc-en-ciel collé dans la fenêtre, en plus du plaisir qu’il peut procurer à la personne qui le voit du coin de l’oeil en prenant une marche, augmente le sentiment d’exister de celui qui l’a créé. Notre « mental » est renforcé par le fait d’imaginer le plaisir potentiel de cette personne qui verra notre fenêtre, et aussi par le fait de créer, de construire et de donner du sens au monde.
Ces sources indirectes de relation avec les autres et avec le monde sont très puissantes, surtout parce qu’elles sont actives : elles amènent notre corps à interagir activement avec le monde, dans des limites imposées. À ces sources s’en ajoutent d’autres, plus directes, où les échanges sont possibles : le téléphone, les visioconférences, les chats. Même juste entendre une voix lors d’un appel devient une source importante de réconfort. Elle peut avoir la tendresse d’un câlin. Alors qu’avant, notre voix pouvait être un simple moyen de transmission d’information, cette situation nous la montre sous sa dimension réelle, ce moment nous montre sa réelle importance dans notre être.
Je pense qu’il est important de nous inclure comme vivant une situation particulière lors de laquelle notre « mental » est mis à l’épreuve, si on veut accompagner les personnes qui vivaient déjà des situations d’isolement et qui aujourd’hui peuvent vivre un isolement plus poussé. Il faut changer la conception que nous sommes en position de donner et que l’autre est en position de recevoir. Avoir une attitude d’ouverture face à l’échange de positions permet de créer des relations plus soutenantes, relations dont tous et toutes ont besoin aujourd’hui.
Des initiatives individualistes vont vouloir intervenir en ce moment sur le « mental ». Mais il me semble qu’on a l’opportunité, peut-être même le devoir, d’humaniser cette expérience commune difficile, plutôt que de la psychiatriser. Lorsque nous allons en sortir, peut-être qu’une autre compréhension de ce que nous sommes, donc du « mental », pourra prendre forme.
Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal