Pour limiter le système excluant : vers des formes inclusives de reconnaissance
David Castrillon – MSc en Gestion
Directeur général – Projet Collectif en Inclusion à Montréal (PCEIM)
Président – Réseau alternatif et communautaire des organismes (RACOR) en santé mentale de l’île de Montréal
Révise par Justine Israël
Pour limiter le système excluant : vers des formes inclusives de reconnaissance
Aujourd’hui, dans l’incertitude, nous essayons de regarder ce qui se passe autour de nous, et une tendance déjà observée dans d’autres crises semble se confirmer : le système en place se renforce en intégrant dans son fonctionnement tout évènement, même une crise comme celle que l’on vit. Mais quel est ce système, de quoi s’agit-il, y a-t-il plusieurs systèmes de natures différentes? Plusieurs appellations nous entourent pour décrire les systèmes : appareil économique néolibéral, idéologie ultralibérale, individualisme, société de contrôle, économie de marché, système capitaliste, société de consommation, système patriarcal. Ces concepts ont plusieurs points en commun, dont un que nous aimerons soulever qui nous semble transversal, et qui pourrait nous aider à réfléchir sur l’action communautaire : la recherche de la reconnaissance[1] par moyen de la distinction.
La reconnaissance par la distinction
Une conception très répandue de l’humain dans notre société, qui encadre nos manières d’interagir, est que chaque humain est constitué d’un soi, inné, et que les autres sont en dehors et empêchent ou facilitent l’expression de ce « soi ». Il s’agit d’une vision anthropologique individualiste. En partant de cette représentation de ce qu’on est, on va croire qu’exister comme humain consiste alors à se distinguer aux yeux des autres, donc que le « soi » occupe la plus grande part de la place disponible dans les interactions. Il s’agit là d’une morale individualiste.
Évidemment, nous avons tous besoin de la reconnaissance des autres, c’est-à-dire d’occuper une place significative parmi les autres, afin de se sentir exister et, plus essentiellement, afin de devenir soi-même. Et il y a une pluralité de moyens pour répondre à ce besoin de reconnaissance, pas seulement par la distinction. En plus de limiter l’accès à d’autres moyens ou formes possibles de reconnaissance, c’est-à-dire d’autres façons d’occuper une place aux yeux des autres, on nous fait croire qu’il existe seulement ce moyen : la distinction. Elle est omniprésente dans notre quotidien, au point où on ne la perçoit plus : dans le travail, à l’école, sur les réseaux sociaux, même à la maison. On la reproduit par des objets, des procédures, des pratiques, des normes, des mots. On est constamment entouré de mesures visant la performance, avec des objectifs à atteindre. L’enjeu, c’est que ce moyen porte les racines de l’exclusion.
La distinction dans les organismes communautaires
La distinction est une forme de reconnaissance très présente dans les organisations privées à but lucratif, mais les organisations du secteur de l’action communautaire n’en sont pas à l’abri. Ces organisations habitent dans un écosystème qui les pousse constamment à mettre en place des pratiques propres à la distinction comme la croissance, la concurrence et la performance. Est-ce que cette forme de reconnaissance est en train de prendre plus de force avec la crise actuelle? Comment les organisations du secteur communautaire peuvent-elles limiter ces dérives d’un système qu’elles sont censées changer pour faciliter l’inclusion?
Cette forme de reconnaissance se traduit par l’exigence d’une croissance, par la concentration des services et des actions s’apparentant à un monopole, et surtout par la réticence face aux processus de concertation, où il faut avoir un souci commun de permettre à l’autre d’occuper une place.
Dans ce temps de crise, par exemple, on a assisté à une recrudescence de la lutte pour du financement, sous l’idéologie des « besoins de base » – idéologie qui porte en soi une réduction de la personne à ses fonctions biologiques. Il est possible d’être tenté par cet esprit propre à la concurrence (essayer d’occuper la plus grande part de la place disponible), afin d’avoir encore plus de ressources financières sans tenir compte de la parole des personnes de la communauté. Parce qu’il faut agir vite pour répondre aux « besoins de base », la voix des citoyen.nes, dans cette perspective, est perçue comme étant lente et peu articulée, puisqu’elle ne répond pas à la logique de performance. Ces personnes ne méritent donc pas notre regard, puisqu’on pense déjà savoir, sans concerter, sans consulter, ce dont elles ont besoin. Ainsi, on risque d’agir en traitant les autres comme étant inefficaces, et de prendre leur place dans le partage de la parole.
Immergé dans cette forme de reconnaissance, le mot concertation prendra alors une signification contraire à ce qu’elle doit représenter : au lieu d’un espace d’apprentissage commun pour réfléchir aux problèmes et décider ensemble, la concertation devient un espace stratégique pour faire passer un agenda privé, en attribuant également cette même intention aux autres pour justifier la sienne.
On sait qu’avoir de l’argent incarne cette forme de reconnaissance, mais on la voit aussi se déployer par la quête du gain et d’avoir raison à tout prix, par l’orgueil de savoir que les autres font ce qu’on veut et par le fait de de se sentir comme le détenteur du bien. On nie aussi que dans la concertation, le fait de « tourner en rond » pourrait faire partie de la construction d’un sens partagé et servirait à nuancer les perspectives, donc on se prive de mieux comprendre, donc de mieux agir, sous la guise de l’efficacité.
D’autres moyens de reconnaissance
D’un autre côté, une pluralité de moyens de reconnaissance qui facilitent l’inclusion sont déployés dans la communauté. Pour contrer les moyens de distinction, il y a des organisations qui jouent un rôle important dans la création d’espaces facilitant le partage d’information entre organisations (du fait de leur mission, on souligne notamment le rôle de tables de concertation et des regroupements). Plusieurs organismes continuent et renforcent leur engagement dans le partage de décisions, le décloisonnement de rôles fixes, la création d’espaces de dialogue et la limitation de la croissance de structures centralisées.
La reconnaissance du besoin de l’autre pour exister, la limitation du rôle de héro ou de sauveur, et la compréhension de l’interdépendance entre les organisations sont toujours des moyens présents dans le secteur. Il s’agit donc d’un effort en continu des organisations dans la préservation d’autres moyens de reconnaissance, effort encore présent, même si certains signes nous démontrent que le système en place peut être très « innovant » pour maintenir son statu quo.
[1] Soulignons notamment les travaux sur ce sujet de Kym Maclaren, Hanne DeJaegher, Shaun Gallaguer, Francois Flahault, Daniel Stern et Tzvetan Todorov.
Le Projet collectif en inclusion (PCEIM) est un organisme soutenu par Centraide du Grand Montréal